En résumé
L’échange et la perméabilité entre les pratiques artistiques se retrouvent dans la conception de l’exposition « Livres pauvres : arts & poésies mêlés » (8 mars – 25 juin 2022), partagée en deux lieux et qui mêle les créations d’artistes et poètes reconnus et celles d’étudiants et même du tout public. A la sélection de livres pauvres orchestrée par le poète Daniel Leuwers, ont été associées des contributions amatrices, dans l’esprit participatif qui anime de nombreux projets de médiation culturelle des Bibliothèques de Toulouse. Il paraissait important d’élargir la rencontre artistique, qui est le fondement même du livre pauvre, à un public non connaisseur. A travers la pratique créatrice elle-même, le public a donc pu développer la connaissance de ce genre particulier de livre d’artiste.
Un partenariat avec le Lycée Rive Gauche
Les étudiants du Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués du lycée Rive Gauche à Toulouse accompagnés de leurs professeurs de lettres, Mathilde Bonazzi, et d’arts appliqués, Stéphan Lozet, sont devenus tour à tour poète et plasticien le temps de la création d’un livre pauvre, conçu comme un ricochet à l’imaginaire de Gaston Bachelard.
Filière DSAA
En DSAA, l’équipe enseignante pluridisciplinaire accompagne les étudiants dans la construction de postures de designer conscients des enjeux sociétaux et environnementaux, contemporains et à venir. Les étudiants interrogent les préoccupations émergentes dans le champ du design, proposent un travail de veille collaborative autour de la création contemporaine et découvrent le paysage artistique actuel. Parce qu’ils prennent part à de multiples projets, ils affinent leur regard sur la discipline et se positionnent comme designers responsables.
Ce travail a été l’occasion d’interroger le rapport des étudiants à l’objet « livre » et à la lecture ainsi que les relations du texte et de l’image dans les ouvrages illustrés.
Placés au cœur des enjeux de la création contemporaine, les élèves ont dialogué avec Julien Michel, chargé de recherches aux Musée des Abattoirs et spécialiste du livre pauvre : ses formes et ses modalités de création, son économie, son exposition et son perpétuel voyage d’un musée à l’autre.
Les étudiants ont également découvert, à la Bibliothèque d’études et du patrimoine, le fonds superbe des livres d’artistes. Ils ont traversé l’histoire des arts modernes, feuilleté avec mille précautions le Coup de dé de Mallarmé (1897) ou Les Jockeys camouflés de Pierre Reverdy illustré par Henri Matisse (1918). En outre, des ateliers de pratique plastique ont été engagés : une initiation à la calligraphie leur a été proposée par François Leroy, calligraphe et professeur au lycée des Arènes, et un atelier papier autour des techniques de reliure, pliage et pop-up, par Fanette Chavent, relieuse à l’Atelier 12.
Enfin, les étudiants ont travaillé deux jours durant avec le jeune poète et romancier, Simon Johannin, publié aux éditions Allia. Il les a accompagnés dans la composition des poèmes, leur écriture et leur réécriture.
Outre un aspect plus expérimental dans la matérialité du livre pauvre, leurs productions offrent un regard différent sur la thématique de l’eau… peut-être celui de la jeunesse, certes prête à rêver mais aussi sensibilisée aux enjeux du monde actuel, à travers l’évocation de problématiques écologiques ou politiques.
Les étudiants nous en disent plus sur leur processus créatif
Qui n’a jamais contemplé le mouvement de l’eau ? Qui ne s’est pas laissé bercer par la clameur des vagues ? Qui n’a pas regardé avec fascination le plongeur s’éloigner dans les profondeurs de l’océan ? Le livre pauvre Les profondeurs de soi voudrait donner forme à l’expérience de la plongée sous-marine, telle que Charlotte l’a vécue : “Sous l’eau, dit-elle, nous n’avons d’autre distraction que nous-mêmes ; nous sommes en méditation”. Pour traduire cet état, le livre se transforme en une étendue d’eaux bleues, dans laquelle le lecteur est invité à plonger. Portant son regard sur les grains du papier et les bulles découpées, il contemple les abysses.
Une maison familiale au bord de la mer : l’autrice voulait recréer la chambre qu’elle y occupait enfant et y inviter le lecteur. Inspirée de Je me souviens de Georges Perec, où l’énumération des objets quotidiens, quoique banals, appelle la réminiscence, Pauline esquisse des objets éparpillés et désordonnés qui pourraient se trouver ailleurs, dans d’autres chambres, d’autres espaces. Ainsi, il s’agissait de rendre cette chambre familière au lecteur et de traduire l’atmosphère singulière d’un lieu de passage dont le souvenir pourtant est fixe.
Le pliage crée un pan de mur et dessine l’espace dans le sillage de Proust. L’illustration, inscrite dans la tradition littéraire et picturale, est une vue de mer. Le paysage maritime, à défaut de pouvoir être contenu dans le cadre, envahit l’espace comme un souvenir nous submergerait.
Volume atypique sculpté de facettes géométriques, L’Observatoire est tourné vers le ciel, scrute l’immensité de l’espace et de nos rêves, invite à démultiplier nos points de vue. Véritable ode à l’observation, cette structure kaléidoscopique et onirique fait écho à la passion d’Hugo pour l’astronomie, ressemble à une suite d’astrophotographies et raconte les nuits blanches d’un poète esseulé dans la nuit noire. Pour donner à voir la beauté céleste et les émotions de celui qui l’observe, Valentine a utilisé de multiples techniques d’encrage, créant ainsi un véritable polyptyque graphique. Affranchi du minimalisme du livre pauvre, l’objet engage le lecteur à en explorer les facettes, l’espace des blancs et les vides, à le contourner, à se baisser pour en découvrir la langue.
Le livre pauvre Les oiseaux dos offre un instant poétique qui retrace le voyage d’un oiseau migrateur. Justine Guichard, assise au bord de l’étang, se voit observer par le héron qu’elle regarde à son tour. Au cours de ce face-à-face, une phrase de L’été des charognes, roman de Simon Johannin, lui revient à l’esprit : « […] les convulsions ont pris le dessus en nous faisant ressembler à deux hérons plein de cendre […] ». Un imaginaire onirique s’ouvre et Justine prend sa plume pour décrire son propre reflet et celui de l’oiseau dans les miroitements de l’étang. Le poème s’offre ainsi aux lecteurs comme un miroir réfléchissant. Chloé Lemaur-Armengaud s’est approprié ensuite ce paysage de marais. De part et d’autre du pli du livre pauvre, elle a représenté l’échassier qui vole en liberté, emportant un message de sagesse d’une rive à l’autre. Le héron somptueux contraste avec les corbeaux et l’emporte sur ces oiseaux de mauvais augure.
Les ateliers à la bibliothèque avec Karine Marco
Les deux lieux d’exposition, la Bibliothèque d’étude et du patrimoine et la Médiathèque Grand M, ont accueilli deux ateliers menés par Karine Marco, elle-même artiste amateur. Cela a permis au public curieux de découvrir le livre pauvre par la pratique artistique.
Face au papier, Karine leur a proposé d’expérimenter un pliage particulier, qui permet plusieurs dispositions, du carrousel au leporello. Avec la contrainte du noir et blanc, et jouant les deux rôles, celui du poète et celui de l’artiste – tel Claude Marchat, seul artiste de la collection de Daniel Leuwers à avoir réalisé le texte et l’image de son livre pauvre – les participantes ont dans un temps limité réussi à se laisser submerger par la vague créatrice et ont cheminé sur la page comme au fil de l’eau.